Le coronavirus n’empêche pas la réflexion juridique en dépit de l’arrêt actuel des tribunaux. Les dossiers inhérents aux retards, annulations de vols et refus d’embarquement ne sont actuellement plus plaidés car l’urgence vient à manquer. Toutefois, des vols sont annulés en cascades. Des passagers, inquiets et en nombre, s’adressent à des cabinets d’avocats, leur posant plusieurs questions (redondantes) sur leurs droits.
Pour le moment, aucun tribunal ne s’est évidemment prononcé sur ces problématiques mais nous ne ferons pas preuve de présomption en estimant pouvoir y répondre sans nous tromper.
« Puis-je me faire rembourser mon billet d’avion ? »
Tout d’abord, tout dépend de la personne qui prend l’initiative de rompre le contrat.
Si c’est la compagnie aérienne qui est à l’origine de l’annulation, pas de difficulté particulière : le billet sera intégralement remboursé.
En revanche, si vous souhaitez prendre l’initiative de l’annulation, sachez que vous risquez de perdre le bénéfice du remboursement du billet. La seule chose à laquelle vous aurez droit sera les taxes aéroportuaires qui, dans de nombreux cas, représentent un montant dérisoire.
Si vous devez voyager prochainement, nous ne pouvons que vous conseiller d’attendre le positionnement de la compagnie aérienne et de ne pas prendre l’initiative de l’annulation.
Nous nous appliquons ce propre conseil. Nous étions censés nous rendre en Italie au début du mois de mai et résider dans un logement par le biais d’Airbnb.
Nous avons pu annuler notre réservation auprès d’Airbnb (sans frais) mais la compagnie aérienne n’a pas encore annulé notre billet aller-retour vers l’Italie. Nous pensons que cela ne saurait tarder, eu égard à la situation chez nos voisins qui ne s’améliorera probablement pas au début du mois de mai.
Au pire des cas, ladite compagnie aérienne pourra toujours nous faire bénéficier d’un avoir (ou nous permettre de décaler mon billet) mais nous préférons tout de même attendre encore un peu.
Annick BATTEUR, Delphine BAZIN-BEUST et Loïs RASCHEL, L’éruption du volcan Eyjafjöll, un sujet explosif !, La Semaine Juridique Edition Générale n° 25, 21 juin 2010, doctr. 707 ; Cour de justice des Communautés européennes, 8 septembre 2005, C-344/04, Conclusions de l’avocat général Geelhoed, The Queen, à la demande de International Air Transport Association et European Low Fares Airline Association c/ Department for Transport
« Puis-je être remboursé des frais induits par le coronavirus » ?
Il se peut – et il est souvent probable – que la crise sanitaire actuelle nous oblige – surtout si nous nous trouvons à l’étranger – à nous enquérir de frais inopinés en cas, par exemple, d’annulations de vol.
Les passagers victimes se poseront alors une question légitime : devons-nous assumer personnellement lesdits frais ?
Il faut déjà distinguer deux cas :
- Celui où vous avez réservé un vol « sec » auprès de la compagnie aérienne ou même d’une agence de voyages (sans hébergement) ;
- Celui où vous avez réservé un séjour touristique complet (comprenant vol et hébergement).
1°) Commençons, de manière antéchrologique, par le second cas (réservation d’un séjour touristique complet)
La Cour de cassation française a eu à juger des cas inhérents à une autre circonstance extraordinaire : l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull.
Les passagers avaient réservé un séjour touristique complet. Les agences de voyages s’opposaient au remboursement de ces frais inopinés, arguant évidemment du caractère exceptionnel de la situation. La Cour de cassation a tranché en faveur des passagers et a condamné les agences de voyage sur le fondement de l’ancien article L. 211-15 du Code du tourisme (abrogé depuis lors).
Cet ancien article disposait :
« Lorsque, après le départ, un des éléments essentiels du contrat ne peut être exécuté, le vendeur doit, sauf impossibilité dûment justifiée, proposer à l’acheteur des prestations en remplacement de celles qui ne sont pas fournies. ».
Ainsi, indépendamment de l’existence d’un cas de force majeure ou d’une circonstance extraordinaire, l’agence de voyages, nullement déliée de ses obligations, doit continuer à assister ses passagers et à prendre à sa charge les prestations nécessaires contractées par lesdits passagers du fait de l’annulation.
2°) Continuons avec le premier cas (réservation d’un vol sec)
Les passagers s’étant contentés de réserver un vol sec ne sont pas, pour autant, dénués de tout droit.
Dans un tel cas de figure, ils peuvent solliciter la prise en charge de certaines prestations sur le fondement de l’article 9 du règlement du 11 février 2004 et le débiteur de l’obligation sera, cette fois, la compagnie aérienne.
En conclusion, cela prouve bien que, même dans des cas exceptionnels, telle que l’éruption de ce volcan islandais, les passagers aériens disposent de droits imprescriptibles.
Peut-on considérer que la crise sanitaire du coronavirus est plus violente et que les agences de voyages et compagnies aériennes seront à même de se retrancher derrière cette situation réellement exceptionnelle ? Non et l’absence actuelle de jurisprudence ne nous ébranlera pas dans notre analyse.
Isabelle BON-GARCIN, Les effets de l’éruption du volcan de l’Eyjafjallajökull sur la responsabilité des agences de voyages, Revue de droit des transports n° 2, avril 2012, comm. 33
« La compagnie aérienne doit-elle m’informer de mes droits, même dans le cadre de circonstances extraordinaires ? »
Absolument ! Beaucoup de compagnies aériennes se retranchent derrière le fait que toute l’information utile se trouve déjà sur leurs sites internet et cette argumentation a pu effectivement convaincre un grand nombre de juridictions françaises.
Il n’en demeure pas moins que le transporteur est légalement tenu d’informer les passagers de leurs droits, notamment en matière de prestation et d’assistance par voie d’affichage et de notices remises au moment où les difficultés se présentent, conformément aux dispositions de l’article 14 du règlement (CE) n° 261/2004 du 11 février 2004.
Laurence PÉRU-PIROTTE, Service garanti dans le transport aérien : le passager et le salarié - . – L. n° 2012-375, 19 mars 2012, La Semaine Juridique Social n° 20-21, 15 mai 2012, 1220
« En mars, je devais partir dans un pays étranger. Le vol a été maintenu mais le pays « d’accueil » m’a demandé de me confiner pendant 14 jours. Je n’ai pas eu envie de partir dans ces conditions. Puis-je avoir, au moins, le droit au remboursement du vol ? »
La question est intéressante et non tranchée par les tribunaux mais on peut s’aventurer à répondre par la négative. La compagnie aérienne n’a pas à subir les affres des décisions politiques prises par certains États et la volonté (certes légitime) de certains passagers de ne pas être confinés dans un pays pendant quatorze jours.
« En sus du remboursement du vol, puis-je me voir offrir une indemnisation par la compagnie aérienne ? »
L’article 5 (3) du règlement susvisé dispose que le transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation s’il prouve que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.
Ce règlement prévoit également une liste de cas (non exhaustifs) permettant à la compagnie aérienne de se délier de toute obligation : instabilité politique, conditions météorologiques incompatibles avec la réalisation du vol concerné, risques pour la sécurité, défaillances imprévues pouvant affecter la sécurité du vol, grèves ayant une incidence sur les opérations d’un transporteur.
De manière générale, les compagnies aériennes tentent de faire élargir, par les tribunaux, la notion de circonstances extraordinaires, tandis que les passagers essaient d’en amenuiser le champ.
Certaines compagnies aériennes considèrent, par exemple, que la grève de leur personnel au sol constitue des circonstances extraordinaires en s’appuyant sur le règlement qui donne effectivement cet exemple. Mais elles n’ont pas été suivies, la Cour de justice de l’Union européenne rappelant que même une grève sauvage ne peut pas justifier le refus d’indemnisation des passagers. Il en va de même pour la présence de brouillard et pour la plupart des accidents techniques.
A contrario, l’ingestion d’un faucon dans un moteur constitue un imprévu justifiant l’exonération du versement de l’indemnisation forfaitaire. De même, les conditions météorologiques très défavorables ont pu être reconnues comme étant des circonstances extraordinaires, surtout lorsque l’atterrissage est prévu sur un aéroport dangereux, comme celui de Saint-Martin.
En revanche, pour que lesdites conditions météorologiques puissent déboucher sur l’exonération du versement de l’indemnisation forfaitaire, il faut impérativement que ces dernières aient été imprévisibles, indépendamment de la « puissance » du mauvais temps.
On constate donc que l’analyse doit être faite au cas par cas et diffère selon les tribunaux.
Peut-on considérer que le coronavirus présente toutes les caractéristiques des circonstances extraordinaires ? Comme précisé ci-dessus, nous ne pouvons nous appuyer sur aucune jurisprudence à cet effet (les tribunaux étant, de surcroît, à l’arrêt). Toutefois, nous ne nous avancerons pas témérairement en écrivant qu’aucun passager ne pourra obtenir d’indemnisation en sus du remboursement. Cette pandémie est arrivée assez brutalement, et de manière inattendue sur le continent et les gouvernements ont décidé arbitrairement de confiner leurs citoyens.
Valérie MICHEL, Droit des passagers du transport aérien, Europe n° 5, mai 2013, prat. 1
Cour d’appel de Paris, Pôle 4, chambre 9, 22 novembre 2012, Répertoire Général : 09/18499, SA AIR FRANCE c/ Monsieur Gilles MIDALI, Madame Nadine DURHÔNE, Madame Isabelle PEINY épouse FARRONATO, Monsieur Thierry FARRONATO
Isabelle BON-GARCIN, Valérie BAILLY-HASCOËT, Jérémy HEYMANN et Laurent SIGUOIRT, Les transports : activités, contrats et responsabilités, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 41, 11 octobre 2018, 1514
Cour d’appel de Grenoble, 1re chambre civile, 16 octobre 2012, Répertoire Général : 09/02188, Association DESTINATION BRIDGE, Monsieur Patrick GRIBE, Madame Andrée MAYET, Monsieur Pierre BARBALAT, Madame Viviane AMON épouse BARBALAT, Monsieur Jacques BOURGADE, Madame Jacqueline BRIDON, Monsieur Jacques DEPARDIEU, Madame Pilar DEPARDIEU, Monsieur Jean-Louis DUCHEZ, Madame Marie-France FIACRE épouse DUCHEZ, Madame Chantal LELIN, Monsieur Albert RENOUPREZE, Madame Arlette MILLIAT épouse BONNARD, Madame Julia OLIVIER, Madame Jeannine LECLERE épouse HUBERT c/ S.A. AGENCE DE VOYAGES FER ROUTE AIR MER VOYAGES – FRAM, Compagnie Aérienne TUNISAIR
Cour d’appel de Paris, Pôle 4, chambre 9, 8 décembre 2016, Répertoire Général : 14/20238
Cour de cassation, Chambre civile 1, 5 novembre 2009, N° 08-20.385, ORZALEK c/ SA NOUVELLES FRONTIÈRES ; Annulation du vol de départ à cause de la neige, Responsabilité civile et assurances n° 12, décembre 2009, comm. 358