La Cour de cassation avait souvent été pointée du doigt, au cours des dernières années, pour un parti-pris – réel ou supposé – pour les compagnies européennes au détriment des passagers aériens.
Les critiques se sont cristallisées à l’occasion d’un arrêt très décrié du 14 février 2018 à l’issue duquel la haute juridiction française jugeait que les passagers, en quête d’une indemnisation pour retard significatif d’un aéronef, devaient impérativement présenter leurs cartes d’embarquement pour prouver leur présence à l’embarquement.
Un an et demi plus tard, la Cour de justice de l’Union européenne a étrillé cette position et ce, par ordonnance, estimant que le débat ne présentait aucune difficulté particulière, les passagers n’ayant pas à présenter de tels documents d’embarquement.
L’arrêt que la haute juridiction vient de rendre le 9 septembre 2020 n’a rien de surprenant mais on peut tout de même s’étonner du fait que l’ex-tribunal d’instance de Nice, pourtant particulièrement rompu aux questions de droit des passagers aériens (il convient de rappeler qu’après les deux grands aéroports parisiens, celui de Nice est le plus fréquenté de France), a pu commettre une telle bévue procédurale.
Plus concrètement, une famille de passagers avait réservé un vol Brindisi-Nice, avec escale à Rome.
Malheureusement, le vol Brindisi-Rome a été affecté par un retard d’1h25, ce qui fit manquer leur correspondance aux passagers, lesquels n’eurent pas d’autre choix que de passer la nuit à Rome avant d’embarquer pour Nice seulement le lendemain. Ils sont donc arrivés à leur destination finale avec un retard largement supérieur à trois heures du fait de ces mésaventures imputables à la compagnie aérienne.
Pourtant, de manière assez curieuse, le tribunal d’instance de Nice avait calculé que, puisque le rappel du premier trajet était inférieur à deux heures, les passagers n’étaient pas habilités à solliciter une indemnisation forfaitaire. Cette position était intenable et ce, au moins depuis le fameux arrêt Sturgeon de la Cour de justice de l’Union européenne qui avait apporté une réponse claire à cet effet : seul compte le retard à l’arrivée finale[1]. Cette jurisprudence européenne a été confirmée, par la suite, à plusieurs reprises, par la juridiction européenne[2]. La Cour de cassation l’avait également rappelé dans plusieurs arrêts assez récents[3]. Les cours d’appel françaises ont évidemment suivi cette tendance[4].
Dès lors, en dépit de l’enjeu financier modeste du litige, il n’était pas étonnant que la Cour de cassation casse ce jugement du tribunal d’instance de Nice, condamnant, au passage, la compagnie aérienne à une lourde indemnité au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
[1] Noura ROUISSI, Retards d’au moins trois heures : les passagers de vols avec correspondance(s) ont également droit à une indemnisation, Revue de droit des transports n° 2, avril 2013, comm. 27 ; Jules STUYCK, Indemnisation pour les passagers de vols retardés en Europe, La Semaine Juridique Edition Générale n° 7, 15 février 2010, 201
[2] Clarisse DEGERT-RIBEIRO, L’importance du lieu de départ d’un vol avec correspondance pour les compagnies aériennes non communautaires, Énergie – Environnement – Infrastructures n° 3, mars 2017, comm. 18 ; Cour de justice de l’Union européenne, 26 février 2013, C-11/11, Air France SA c/ Heinz-Gerke Folkerts et Luz-Tereza Folkerts ; Christophe PAULIN, Vols avec correspondance : il n’y a pas de doute raisonnable sur la destination finale, La Semaine Juridique Edition Générale n° 46, 11 novembre 2019, 1162 ; Laurent BLOCH, Précisions récentes sur le règlement (CE) 261/2004 du 11 février 2004 relatif à la responsabilité des transporteurs aériens, Responsabilité civile et assurances n° 1, janvier 2020, étude 1 ; Cas d’indemnisation des passagers d’un vol avec correspondances, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 10-11, 7 mars 2013, act. 202 ; Cour de cassation, 1re chambre civile, 30 novembre 2016, Numéro de pourvoi : 15-21.590 ; Laurent SIGUOIRT, L’incidence du caractère intracommunautaire dans l’indemnisation des passagers d’un vol Paris-La Réunion, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 6-07, 9 février 2017, 1080 ; Benjamin CHEYNEL, Droits des passagers du transport aérien - . – Tendances récentes et perspectives, Contrats Concurrence Consommation n° 5, mai 2019, étude 7 ; Responsabilité des transporteurs aériens : la distance orthodromique l’emporte sur la distance effective, Responsabilité civile et assurances n° 11, novembre 2017, alerte 26 ; Cour de justice de l’Union européenne, 7 septembre 2017, C-559/16, Birgit Bossen e.a. c/ Brussels Airlines SA/NV ; Cour de justice de l’Union européenne, 4 septembre 2014, C-452/13, Germanwings GmbH c/ Ronny Henning ; Ronny KTORZA, Les correspondances, des facteurs non pris en compte pour le calcul de l’indemnisation dans le cadre du règlement 261/2004, Énergie – Environnement – Infrastructures n° 1, janvier 2018, comm. 6
[3] Jeremy HEYMANN, Retard important des vols avec correspondance au départ d’un aéroport situé dans un pays tiers : le droit à indemnisation des passagers entériné, La Semaine Juridique Edition Générale n° 4, 23 janvier 2017, 84 ; Thibault DOUVILLE, Droit à indemnisation des passagers aériens dont le vol est retardé : de Luxembourg au quai de l’Horloge, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 22, 28 mai 2015, 1251 ; Droit économique, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 1, 5 janvier 2017, 1012 ; Cour de cassation, 1re chambre civile, 16 avril 2015, Numéro de pourvoi : 14-13.736 ; Laurent BLOCH, Retard à l’arrivée, Responsabilité civile et assurances n° 2, février 2017, comm. 53 ; Sabine BERNHEIM-DESVAUX, Indemnisation du retard subi lors d’un vol avec escale, Contrats Concurrence Consommation n° 2, février 2017, comm. 45 ; Arrêts P de la Cour de cassation du 28 novembre au 4 décembre 2016, La Semaine Juridique Edition Générale n° 52, 26 décembre 2016, 1411
[4] Cour d’appel de Paris, Pôle 4, chambre 9, 29 novembre 2018, Répertoire Général : 15/18287, Répertoire Général : 15/24187