Malgré la crise liée au coronavirus et le confinement en résultant, la Cour de justice de l’Union européenne tente de conserver une activité juridictionnelle importante et vient ainsi de rendre deux arrêts inhérents à l’application des dispositions du règlement n° 261/2004 le 30 avril 2020.
Le premier traite (C-191/19, OI c/ Air Nostrum Líneas Aéreas del Mediterráneo SA) d’un cas assez simple. Une passagère avait réservé, auprès d’une agence de voyages, un vol avec correspondance lui permettant de se rendre de Jerez de la Frontera à Francfort-sur-le-Main via Madrid. Le premier avion (opéré par la société AIR NOSTRUM LINEAS AEREAS DEL MEDITERRAN) devait décoller le 3 octobre 2015 à 13h35 et le dernier vol (opéré par la désormais défunte société AIR BERLIN PLC & CO LUFTVERKEHRS KG) était supposé s’achever avec un décollage à Franfort-le-Main le même jour à 22h40. Il est à noter que l’escale à Madrid devait durer 5h15…
La société AIR NOSTRUM LINEAS AEREAS DEL MEDITERRAN, pour des raisons inconnues, a décidé, au grand dam de sa passagère, de placer cette dernière sur un autre vol à 17h55 (celui initialement fixé n’ayant pas été annulé par la compagnie aérienne espagnole), la seule conséquence étant de raccourcir considérablement le temps d’escale mais la requérante a tout de même pu embarquer au sein du second avion.
Pour autant, visiblement extrêmement procédurière, elle décida de saisir l’Amtsgericht Frankfurt am Main (tribunal de district de Francfort-sur-le-Main) d’une demande d’indemnisation dirigée contre la société AIR NOSTRUM LINEAS AEREAS DEL MEDITERRAN du fait de ces modifications. La requête a été rejetée mais cela n’a pas empêché la passagère, visiblement déterminée, d’interjeter appel de la décision du premier juge devant le Landgericht Frankfurt am Main (tribunal régional de Francfort-sur-le-Main). Cette juridiction-ci, excessivement prudente, a préféré poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union Européenne. Que sont des questions préjudicielles ? Lorsqu’une juridiction nationale a des doutes sur l’interprétation (parfois délicate) à formuler en matière de droit de l’Union européenne, elle pose une question dite préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne afin d’être plus éclairée au moment de rendre son jugement (ou arrêt).
Les questions posées par le Landgericht Frankfurt am Main étaient les suivantes :
- La modification, contre sa volonté, de la réservation d’un passager qui dispose d’une réservation confirmée pour un vol précis et qui se voit attribuer une place sur un vol ultérieur, alors qu’il se présente à l’aéroport pour les formalités d’enregistrement, constitue-t-elle un refus d’embarquement au sens de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 261/2004 si le vol pour lequel le passager dispose d’une réservation confirmée est néanmoins effectué ?
- Dans l’affirmative, l’article 5, paragraphe 1, sous c), iii), du règlement n° 261/2004 doit-il être appliqué, par analogie aux refus d’embarquement visés à l’article 4, paragraphe 3, de ce règlement ?
Même si nous persistons trouver l’attitude de la passagère très procédurière et que la solution nous paraissait évidente de prime abord – avant la lecture de l’arrêt – il n’en demeure pas moins que l’intérêt juridique de la première question préjudicielle n’est pas négligeable, puisque le vol initialement réservé par la passagère a été maintenu.
Nous avions anticipé la solution car nous estimions que cette situation était proche de celle consistant à décaler l’horaire d’un vol tout en faisant en sorte que le retard demeure inférieur à trois heures.
Ce qui compte le plus, dans l’esprit du règlement n° 261/2004, tel qu’il est interprété par la Cour de justice de l’Union européenne, est l’heure d’arrivée du dernier vol : peu importe ce qui se passe entre-temps, le vol étant considéré comme un ensemble global, ainsi que l’avait déjà rappelé la Cour de justice de l’Union européenne dans des arrêts du 31 mai 2018 (décision citée par la juridiction dans son arrêt du 30 avril 2020) et du 11 juillet 2019[1].
Cette solution était déjà palpable depuis un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 26 février 2013, la grande chambre de cette juridiction ayant jugé au paragraphe 35 :
« Il en résulte que, en cas de vol avec correspondances, seul importe aux fins de l’indemnisation forfaitaire prévue à l’article 7 du règlement n° 261/2004, le retard constaté par rapport à l’heure d’arrivée prévue à la destination finale, entendue comme la destination du dernier vol emprunté par le passage concerné. »[2].
En l’espèce, la passagère n’a pas été lésée puisqu’elle est même arrivée à Francfort-le-Main avec quelques minutes d’avance. La Cour a donc estimé qu’aucune indemnisation ne devait être versée en pareil cas, ce qui est assez logique.
[1] Valérie MICHEL, Indemnisation en cas de vol avec correspondance, Europe n° 10, octobre 2019, comm. 381 ; Benjamin CHEYNEL, Droits des passagers du transport aérien - . – Tendances récentes et perspectives, Contrats Concurrence Consommation n° 5, mai 2019, étude 7
[2] Noura ROUISSI, Retards d’au moins trois heures : les passagers de vols avec correspondance(s) ont également droit à une indemnisation, Revue de droit des transports n° 2, avril 2013, comm. 27 ; Valérie MICHEL, Transport aérien : définition du vol retardé dans les vols avec correspondances, Europe n° 4, avril 2013, comm. 187 ; Cour de justice de l’Union européenne, 26 février 2013, C-11/11, Air France SA c/ Heinz-Gerke Folkerts et Luz-Tereza Folkerts