La Cour de justice de l’Union européenne vient de rendre unarrêt particulièrement attendu par des milliers de compagnies et de passagersaériens.
Les faits de l’espèce sont assez simples : un clientavait réservé un vol Malmö-Stockholm auprès de la société SCANDINAVIAN AIRLINESSYSTEM. Ce trajet a malheureusement été annulé pour cause de grève lancé par un syndicat de pilotes à la suite de l’échec de négociations collectives.
Ledit passager a alors tenté de réclamer une indemnisationauprès de la compagnie aérienne, laquelle lui a opposé l’existence de cettegrève qui, selon elle, constituerait des circonstances extraordinaires.
Cette annulation de vol date de l’année 2019, soitpostérieurement à l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne,le 17 avril 2018, laquelle juridiction avait estimé que les grèves sauvages ne permettaient pas à un transporteur aérien de s’exonérer du paiement de l’indemnisation forfaitaire. Mais la société SCANDINAVIAN AIRLINES SYSTEM (comme tant d’autres compagnies) a tenté une analyse très subtile : le contexte serait différent du fait de l’intervention d’un syndicat extérieur incitant les salariés à la grève.
Dans un tel cas de figure, la grève serait exonératoire,d’autant plus que les mouvements sociaux sont rares en Suède. Évidemment,Airhelp (à qui le passager a revendu sa créance) conteste cette version. Un litige naît devant une juridiction scandinave qui décide de surseoir à statuer dans l’attente de réponse de la Cour de justice de l’Union européenne aux questions préjudicielles posées à cette dernière.
La haute juridiction européenne décide donc de rendre unarrêt d’importance pour les litiges à intervenir. Elle commence à rappeler lescas pouvant donner lieu à des circonstances extraordinaires. Elle indique ensuite que la grève est un droit fondamental des salariés et ce, même si l’Union européenne a pu sembler privilégier initialement les droits économiques. La Cour rappelle également (et assez logiquement à notre sens) que les mouvements sociaux tendant à demander à l’employeur une augmentation des salaires ou de meilleures conditions de travail ne présentent pas de caractère extraordinaire, comme cela fut rappelé antérieurement par la même juridiction à propos d’un autre type de contentieux. Qui plus est, dans le cas d’espèce, il était difficile, pour la compagnie aérienne, de plaider l’imprévisibilité de la grève, étant donné que la convention collective avait été résiliée, ce qui laissait entrevoir des revendications des pilotes.
Dès lors, la Cour de justice de l’Union européenne fermedéfinitivement la porte à la possibilité d’une reconnaissance des grèvesinternes comme circonstances extraordinaires.
Le considérant 14 du règlement n° 261/2004 avait souventcité par les compagnies aériennes comme argument en faveur d’une tellereconnaissance. La Cour de justice de l’Union européenne répond sur ce point :
« Ainsi, enindiquant, au considérant 14 du règlement n° 261/2004, que des circonstancesextraordinaires peuvent se produire, en particulier, en cas de grèves ayant une incidence sur les opérations d’un transporteur aérien effectif, le législateur de l’Union a entendu faire référence aux grèves externes à l’activité du transporteur aérien concerné. ».
La juridiction établit une nette différence entre« grèves externes » et « grèves internes ». Elle considère(ce qui satisfera les compagnies aériennes) que les mouvements sociaux des contrôleurs aériens ou du personnel d’un aéroport sont susceptibles de constituer des « circonstances extraordinaires » puisque les entreprises de transport aérien ne sont pas en mesure de satisfaire leurs revendications.
Elle rappelle également qu’elle a consacré l’existence decirconstances extraordinaires à de nombreuses autres reprises dans le passé :
- l’éruption du volcan Eyjafjallajökull[1] ;
- une collision entre un aéronef et un volatile[2] ;
- l’endommagement d’un pneumatique d’un aéronefpar un objet étranger, tel qu’un débris mobile se trouvant sur la piste d’unaéroport[3] ;
- la présence d’essence sur la piste d’un aéroportayant entraîné la fermeture de celui-ci ;
- une collision entre le gouvernail de profondeurd’un aéronef en position de stationnement et l’ailerette de l’aéronef d’uneautre compagnie aérienne, causée par le déplacement de ce dernier ;
- un vice caché de fabrication ;
- des actes de sabotage ou de terrorisme.
Mais tel ne sera pas le cas en l’espèce, conformément auprincipe du niveau élevé de protection des consommateurs et, plus particulièrement,des passagers aériens.
[1]Morsureà 30 000 pieds : une circonstance extraordinaire exonératoire ?(CJUE, 11 juin 2020, aff. C-74/19), Responsabilité civile et assurances n° 9, septembre 2020, alerte 18
[2]Oui, le heurt avec un oiseauconstitue une circonstance extraordinaire. Retour sur une évolutionjurisprudentielle inattendue, Énergie – Environnement – Infrastructures n° 8-9, août 2017, comm. 49 ; Valérie MICHEL, Avion vs oiseau : 1/0 – Consommateurs vs transporteur : 0/1 :vers un assouplissement de la jurisprudence de la Cour ?, Europe n° 7,juillet 2017, comm. 272 ; Pascal DUPONT, L’annulation d’un vol consécutive à l’état de santé d’une passagère :un événement difficilement maîtrisable pour un transporteur aérien, LaSemaine Juridique Entreprise et Affaires n° 24, 17 juin 2021, 1311 ; Laurent BLOCH, LA CJUE et laresponsabilité des transporteurs aériens : une escadrille de décisions,Responsabilité civile et assurances n° 7-8, juillet 2018, étude 8 ; Dominique BERLIN, L’oiseau a bon dos !, LaSemaine Juridique Edition Générale n° 21, 22 mai 2017, 580 ; De l’indemnisation des passagers aériensvictimes de défaillances successives, Responsabilité civile et assurancesn° 11, novembre 2020, alerte 23 ; Indemnisationdes passagers aériens : nouvelle précision sur les conditions d’exonération du transporteur, Responsabilité civile et assurances n° 6, juin 2019,alerte 13
[3]