Dans nos deux précédents articles, nous avions évoqué l’attitude des compagnies aériennes qui refusaient de rembourser leurs clients suite à une annulation de vol, leur proposant un avoir de substitution, ce qui a interpellé un grand nombre d’entre vous.
Il n’existe aucun doute juridique possible : ce comportement – qui peut s’expliquer par le manque de trésorerie des compagnies aériennes – est illégal, ne respectant pas les dispositions du règlement n° 261/2004.
L’association de défense des consommateurs, UFC-Que Choisir, a envoyé une lettre de mise en demeure aux compagnies aériennes récalcitrantes, les invitant à respecter leurs obligations réglementaires, ce qui, au passage, permet de connaître l’ensemble des « mauvais élèves », opérant sur le territoire français, que nous pouvons énumérer ici :
- Air France ;
- EasyJet ;
- Ryanair ;
- Vueling ;
- KLM ;
- Lufthansa ;
- Emirates ;
- TAP ;
- Transavia ;
- Corsair ;
- Volotea ;
- Air Algérie ;
- Royal Air Maroc ;
- Tunis Air ;
- Air Tahiti Nuit ;
- United ;
- Eurowings ;
- Aegean
- Aeroflot ;
- Air Austral ;
- Air Baltic ;
- Air Canada ;
- Air Caraïbes ;
- Air China ;
- Air Europa ;
- Air India ;
- Air Mauritius ;
- Air Senegal ;
- Air Serbia ;
- Air Transat ;
- ASL Airlines ;
- Avianca ;
- Boliviana ;
- Bulgaria Air ;
- Cabo Verde Airlines ;
- China Southern ;
- Condor ;
- Croatia Airlines ;
- Egyptair ;
- French Bee.
On retrouve la quasi-totalité des compagnies exerçant des activités de transport aérien en France. Les deux questions qui se posent aujourd’hui sont les suivantes : que risquent ces compagnies et n’est-il pas dangereux, voire suicidaire, d’agir de la sorte ?
1ère question : « Comment apprécier la stratégie de « non-remboursement » de ces 57 compagnies aériennes récalcitrantes ? »
D’un point de vue stratégico-économique, il convient de noter que la politique menée par ces compagnies aériennes peut paradoxalement s’avérer rentable, voire les sauver. Elle leur permet ainsi de ne pas avoir beaucoup de trésorerie à débourser à court terme. Qui plus est, si beaucoup de passagers vont nécessairement afficher leur mécontentement, qui ira au-delà de l’expression de sa frustration, éventuellement sur les réseaux sociaux ? Une infime minorité et, en attendant, lesdites compagnies conservent leur argent. Bien sûr, certains passagers peuvent se dire « c’est la dernière fois que je voyage avec cette compagnie » et cela peut affecter la cote de popularité d’un tel transporteur.
Mais il convient de relativiser cet effrittement d’image pour deux raisons :
- La première est que, comme indiqué ci-dessus, un grand nombre de compagnies aériennes s’adonnent aux même pratiques. Il existe donc une sorte de solidarité générale dans les pratiques immorales et il est ainsi difficile de pointer du doigt untransporteur plutôt qu’un autre.
- Les derniers mois ont été marqués par des faillites de compagnies aériennes en cascade, quelques géants de l’aviation ayant dû « plier bagage » : Adria Airways, Aerolíneas de Antioquía, Aigle Azur, Air Philip, Al Naser Wings Airlines, Asian Express Airline, Avianca Argentine, Avianca Brasil, California Pacific Airlines, Fly Jamaica Airways, Flybmi, Germania, Insel Air, Jet Airways, New Gen Airways, Peruvian Airlines, Thomas Cook Airlines Balearics, Via Airlines, Wisdom Airways, Wow Air, XL Airways. De ce fait, plusieurs créneaux se sont libérés (sans trouver preneur à ce stade) et certaines compagnies aériennes se retrouvent seules sur certaines lignes, ce qui réduit quelque peu les possibilités de campagnes de boycott « idéologiques » de certains passagers.
Par ailleurs, même si certains passagers décident de récupérer leurs fonds par la voie juridictionnelle, il y a lieu de rappeler que les procédures judiciaires – même pour des dossiers aussi simples – sont très longues et sont aujourd’hui rallongées par deux éléments à prendre en considération :
- Les juridictions sont fermées et le stock des dossiers en cours – déjà considérablement épaissi par la grève étirée des avocats – ne cesse d’augmenter, ce qui créera des délais d’audiencement significatifs ;
- Un article 750-1 du Code de procédure civile vient d’être créé, lequel, pour les dossiers à faible enjeu financier (c’est-à-dire inférieur à 5000 €), impose le recours à un mode amiable préliminaire, ce qui ne sera pas sans conséquences sur les délais de procédure.
Un moyen théoriquement astucieux peut consister à opérer une saisie conservatoire. Une saisie conservatoire est une saisie à caractère provisoire des biens mobiliers d’un débiteur, ce qui permet de contrer les effets d’une insolvabilité à venir. Un règlement du 15 mai 2014, complété par un autre règlement du 10 octobre 2016, permet de faciliter les saisies conservatoires au sein de l’Union européenne. Néanmoins, si une saisie conservatoire peut être opérée rapidement, il y a lieu de rappeler qu’elle n’est pas exempte de frais d’huissier (quelques centaines d’euros minimum), ce qui n’est pas anecdotique lorsque l’enjeu est un simple remboursement de billet d’avion…
2ème question : « Quelles sont les sanctions judiciaires et administratives susceptibles de peser sur une compagnie aérienne ? »
Une compagnie aérienne, qui rembourse un passager qui initie une action judiciaire, est à peu près sûre de perdre son procès et, dans un tel cas de figure, la condamnation au remboursement du prix du billet ne sera pas isolée : elle peut s’accompagner de dommages-intérêts (par exemple, pour résistance abusive) et de paiement des frais d’avocat (l’article 700 du Code de procédure civile), sans oublier les honoraires de son propre avocat. La facture peut donc être particulièrement salée. Mais, comme nous l’avons dit précédemment, seule une poignée de passagers s’engagera dans des démarches aussi chronophages qui s’achèveront souvent après la fin de validité de l’avoir, supposée donner lieu au remboursement monétaire du billet infructueux.
Mais – et c’est le type de sanctions que les compagnies aériennes craignent le plus – une « punition » judiciaire peut se cumuler avec une sanction administrative encore plus onéreuse.
Deux exemples méritent d’être relevés
1°) Celui de la société Kenya Airways. Un vol Paris-Nairobi a eu un retard considérable et deux passagers s’étaient plaints que cette compagnie aérienne refuse de leur verser l’indemnisation forfaitaire à laquelle ils estimaient avoir droit. Le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie lui a alors infligé deux amendes d’un montant total de 15000 € mais… près de quatre ans après le vol litigieux.
2°) Celui de la société Easyjet. L’esprit est le même que pour la société Kenya Airways. Cette entreprise britannique a dû débourser la somme de 75000 € pour avoir refusé d’indemniser vingt passagers à la suite d’annulations de vols.
Bien sûr, plusieurs des 57 compagnies précitées doivent s’attendre à pareil sort dans les années à venir mais elles semblent préférer une lourde sanction à long terme plutôt qu’un versement plus léger à court terme.
L’avenir jugera du bien-fondé de cette stratégie.
Yves STRICKLER, Les procédures rapides (procédure accélérée au fond, procédures d’urgence), Procédures n° 3, mars 2020, étude 7
Règlement (UE) n° 655/2014 du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 portant création d’une procédure d’ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires, destinée à faciliter le recouvrement transfrontière de créances en matière civile et commerciale ; Règlement d’exécution (UE) 2016/1823 de la Commission du 10 octobre 2016 établissant les formulaires mentionnés dans le règlement (UE) n° 655/2014 du Parlement européen et du Conseil portant création d’une procédure d’ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires, destinée à faciliter le recouvrement transfrontière de créances en matière civile et commerciale
Cour administrative d’appel de Paris, 6e chambre, 13 novembre 2018, Numéro de requête : 17PA00526, Numéro de rôle : 18249.
Cour administrative d’appel de Paris, Chambre 6, 10 février 2014, n° 12PA03835, SOCIETE EASYJET AIRLINE COMPANY LIMITED c/ MINISTERE DE L’ECOLOGIE DU DEVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’ENERGIE