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Un retard de vol trouvant sa source hors de l’Union Européenne entre-t-il possiblement dans la juridiction du règlement n° 261/2004 ? 

22 mai 2022

 

La Cour de justice de l’Union européenne vient de rendre un arrêt inhérent à des faits impliquant des segments de vols extraeuropéens. 

En l’espèce, des requérants avaient réservé, auprès de la société LUFTHANSA LIGNES AÉRIENNES ALLEMANDES, un vol Bruxelles-San José avec une escale à Newark. Toutefois, bien que la réservation était effectuée auprès d’un transporteur aérien européen, l’intégralité du vol avait été effectuée par la société états-unienne, UNITED AIRLINES INC.  

Les passagers sont arrivés à leur destination finale avec un retard estimé à 223 minutes, soit un peu moins de quatre heures. Ils ont alors cédé leur créance à une société spécialisée en la matière qui a sollicité le paiement d’une indemnisation forfaitaire. La société UNITED AIRLINES INC a refusé cette demande au motif que l’arrivée des passagers à leur destination finale serait le fruit d’un retard intervenu entre Newark et San José, soit dans un segment extraeuropéen.   

Les parties ont alors continué d’échanger leurs positions mais sans succès. Entre-temps, la société créancière a recédé sa créance aux passagers qui ont repris la conduite du procès.   

Les tentatives amiables ayant duré de longs mois, les passagers ont alors fait citer la société UNITED AIRLINES INC devant le tribunal de l’entreprise néerlandophone de Bruxelles. Cette juridiction nourrissait toutefois des doutes quant à la portée de la décision à donner à cette affaire.    

Bien évidemment, on pouvait immédiatement penser à une jurisprudence récente de la Cour et plus particulièrement à l’arrêt Wegener. Sauf que dans les faits ayant conduit à cet arrêt, c’était le premier vol qui posait problème et il décollait d’Europe. Il était donc peut-être difficile de se réfugier exclusivement derrière cet arrêt pour tirer une solution aux faits de l’espèce.   

En revanche, il semblait que l’arrêt České aerolinie était plus adapté auxdits faits puisqu’un retard a affecté un second vol assuré parun transporteur aérien non communautaire au départ d’un État non membre de l’Union européenne mais, aux termes de cette décision, la Cour s’était surtout intéressée à la possibilité de condamner le premier transporteur aérien communautaire en dépit du fait que seul le second était responsable du retard de vol.   

Par sécurité, le tribunal de l’entreprise néerlandophone de Bruxelles a donc préféré saisir la Cour de justice de l’Union européenne de deux questions préjudicielles, ne voulant pas prendre la responsabilité d’empiéter éventuellement sur la souveraineté états-unienne :   

1°) L’article 3, paragraphe1, sous a), et l’article 7 du (règlement n° 261/2004), tels qu’interprétés par la Cour, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’un passager a droit à une indemnisation financière du transporteur aérien non communautaire lorsqu’il a atteint sa destination finale avec un retard de plus de trois heures survenu lors du dernier vol, dont les points de départ et d’arrivée étaient tous deux situés sur le territoire d’un pays tiers sans escale sur le territoire d’un État membre, l’ensemble des vols ayant été matériellement effectués par ce transporteur aérien non communautaire et ayant fait l’objet d’une réservation unique par le passager auprès d’un transporteur communautaire n’ayant effectué matériellement aucun de ces vols ?   

2°) En cas de réponse affirmative à la première question, le (règlement n° 261/2004), tel qu’interprété en réponse à la première question, viole-t-il le droit international et, en particulier, le principe de la souveraineté complète et exclusive d’un État sur son territoire et sur son espace aérien, en ce que cette interprétation rend le droit de l’Union applicable à une situation qui se produit sur le territoire d’un pays tiers ?   

· Concernant la réponse à la première question   

La Cour rappelle notamment qu’un vol avec une ou plusieurs correspondances constitue un ensemble aux fins du droit à indemnisation des passagers.   

Dès lors, le lieu de la correspondance est sans intérêt en la matière, raison pour laquelle la solution du présent arrêt ne saurait différer de celle de l’arrêt Wegener : peu importe que le retard à l’arrivée ait été causé par le premier ou le second vol.   

Reste désormais à savoir qui est débiteur de l’indemnisation forfaitaire : le transporteur contractant (Lufthansa) ou effectif (United Airlines) ?   

La Cour juge que la société UNITED AIRLINES INC doit verser l’indemnisation forfaitaire aux passagers car elle remplit deux conditions cumulatives : 

- L’existence d’un vol dont elle a assumé le tracé ; 

- Le fait d’avoir agi au nom de la société LUFTHANSA LIGNES AERIENNES ALLEMANDES, le partage de code en constituant la preuve la plus évidente.   

· Concernant la réponse à la seconde question   

Cette question est de nature juridico-politique puisqu’elle a trait à l’extraterritorialité du règlement n° 261/2004. La Cour de justice de l’Union européenne viole-t-elle la souveraineté états-unienne en appliquant de facto, sur le sol de ce pays étranger, les termes de ce texte ?   

La Cour de justice de l’Union européenne commence par rappeler, de manière très policée, que l’Union européenne est tenue de respecter le droit international et notamment la souveraineté des États-tiers.   

Après ce rappel, la Cour explique tout de même que le règlement n° 261/2004 peut s’appliquer en pareille circonstance puisque le vol a commencé en Europe. Il en aurait été différemment si les vols avaient été intégralement opérés dans un pays tiers ou entre deux pays tiers sans aucun lien de rattachement avec le territoire de l’Union européenne.   

La société UNITED AIRLINES INC avait « tenté » une argumentation judicieuse : la solution de la Cour pourrait donner lieu àune inégalité de traitement entre les passagers ayant voyagé depuis l’Europe (avantagés par la situation) et ceux ne se trouvant pas dans cette configuration (désavantagés par la situation).   

Mais la Cour rappelle que ces deux types de passagers ne sont pas dans une situation comparable car il convient d’analyser un vol dans son ensemble.   

Dès lors, l’argumentation de la société UNITED AIRLINES INC est intégralement rejetée.