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Commentaire de l’arrêt de la Cour d’appel d’Angers du 8 juin 2021 : vers une responsabilité accrue des agences de voyages ?

26 septembre 2021

 

La Cour d’appel d’Angers a rendu, le 8 juin 2021, un arrêt qui, à défaut d’être révolutionnaire, saura intéresser de nombreux praticiens du droit des passagers aériens.   

Le 31 août 2017, un passager réserve un trajet aller-retour Cayenne/Saint-Martin avec escale à Pointe-à-Pitre, l’ensemble des vols étant assurés par la SA COMPAGNIE AERIENNE INTER REGIONALE EXPRESS.    

Le vol retour a été annulé du fait du passage de l’ouragan Irma qui avait effectivement été dévastateur à la fin de l’été 2017 dans cette région du monde. Le passager n’a pu quitter Saint-Martin que plusieurs jours après le départ initialement prévu. Mécontent, il a mis en demeure la compagnie aérienne et l’agence de voyages de l’indemniser à hauteur de la coquette somme de 5700,5 €. Ces dernières ont refusé sa requête, arguant que cet ouragan était constitutif de circonstances extraordinaires, entraînant même la fermeture de l’aéroport de Saint-Martin, rendant impuissante la SA COMPAGNIE AERIENNE INTER REGIONALE EXPRESS. Peu convaincu par ces explications, le passager a assigné ces deux sociétés devant le tribunal d’instance du Mans, ville dans le ressort de laquelle il habitait.   

La compétence du tribunal d’instance du Mans, devenu tribunal judiciaire du Mans, pouvait surprendre. Ce dernier a d’ailleurs estimé que la juridiction compétente était le tribunal judiciaire de Cayenne. Une telle solution paraissait logique. Toutefois, le raisonnement de la juridiction mancelle pour y parvenir ne manquait pas de surprendre : en effet, cette dernière estimait que le règlement européen UE1215/2012 n’était pas applicable puisqu’il s’agissait d’un vol purement national. Dès lors, seul le tribunal du domicile du défendeur serait compétent. Une telle solution va à l’encontre de la jurisprudence de la cour de cassation la plus récente. Il est vrai qu’autrefois, lorsqu’un vol était national et assuré par une compagnie aérienne française, les juridictions n’appliquaient pas la réglementation européenne[1]. Mais la Cour de cassation avait mis un terme à cette pratique.   

Le passager n’acceptait pas ce renvoi devant le tribunal judiciaire de Cayenne, ce qui est compréhensible au vu des frais potentiellement engagés devant cette juridiction et a décidé d’interjeter appeldu jugement du tribunal judiciaire du Mans devant la Cour d’appel d’Angers. Ilen a également profité pour reprendre les demandes déjà formulées en première instance.   

La Cour d’appel d’Angers a donc rendu un arrêt qui intéressera les praticiens à plusieurs égards.   

1) Sur la compétence territoriale   

Aux termes d’un raisonnement des plus confus, la Cour d’appel d’Angers juge qu’elle est compétente pour apprécier ce litige sur le fondement des… dispositions générales du règlement qui, en pareil cas, disposent que le consommateur peut attraire le professionnel devant la juridiction de son propre domicile, ce qui constitue une exception au principe selon lequel le défendeur ne peut être assigné que devant « son » tribunal.   

Comme indiqué précédemment, si cette solution est en faveur des consommateurs, elle ne nous convainc pas. Il semblerait que la Cour d’appel d’Angers n’ait pas lu attentivement l’arrêt précité de la Cour de cassation.   

2) Sur l’existence de circonstances extraordinaires   

Le passager tentait de plaider le fait que les circonstances extraordinaires n’étaient pas établies en l’espèce ou, à la rigueur, qu’une assistance inadéquate lui a été prodiguée et qu’aucune information ne lui a été délivrée.   

En l’espèce, la question ne se posait pas : un cyclone de forte intensité a obligé l’aéroport à fermer ses portes, étant précisé que cet événement météorologique était imprévisible. Lesdites circonstances extraordinaires étaient incontestables.   

3) L’assistance   

Si les circonstances extraordinaires font échec au versement d’une indemnisation au profit du passager, ce dernier a droit, quel que soit le cas de figure, à une assistance qui consiste en : 

- Des rafraîchissements et des possibilités de se restaurer en suffisance, compte tenu du délai d’attente ; 

- Un hébergement à l’hôtel aux cas où un séjour d’attente d’une ou plusieurs nuits est nécessaire ou lorsqu’un séjour s’ajoutant à celui prévu par le passager est nécessaire ; 

- Le transport depuis l’aéroport jusqu’au lieu d’hébergement ; 

- Deux appels téléphoniques ou deux télex ou deux messages électroniques à la charge du transporteur aérien.   

Le passager ne s’est visiblement pas vu proposer une telle assistance et a ainsi dû s’enquérir des frais nécessaires personnellement, lesquels s’élèvent à 315,5 €.   

La Cour d’appel d’Angers a choisi de ne pas inclure les frais de location de voiture, lesquels ne correspondent à aucune obligationréglementaire.   

La Cour d’appel d’Angers alloue également un préjudice moral au détriment de la compagnie aérienne qui n’a pas exécuté ses obligations, le montant étant toutefois largement inférieur à celui réclamé par le passager. En revanche, aucune indemnisation ne sera accordée au passager pour violation des dispositions de l’article 14 du règlement CE n° 261/2004.   

4) Le préjudice moral   

La Cour d’appel d’Angers sanctionne également la compagnie aérienne à lui payer la somme complémentaire de 200 € au titre du préjudice moral car elle n’a pas exécuté ses obligations consistant à fournir un lieu d’hébergement et de restauration au profit du passager.   

5) L’obligation d’information prévue àl’article 14 du règlement n° 261/2004   

Même en présence de circonstances extraordinaires, letransporteur aérien effectif doit fournir une information significative aupassager aérien sur ses droits.   

La Cour d’appel d’Angers constate que cela n’a pas été réalisé mais ne condamne pas la SA COMPAGNIE INTER REGIONALE EXPRESS à payer audit passager des dommages-intérêts en ce sens, suivant ainsi une nouvelle tendance jurisprudentielle assez claire.   

6) La curieuse condamnation de la SASU GOVOYAGES à payer la somme de 831,76 €   

À la lecture de l’arrêt de la cour d’appel d’Angers, il semblerait que le passager n’ait réservé qu’un billet d’avion aller/retour auprès de la SASU GO VOYAGES.   

Dès lors, il est curieux qu’une somme d’argent puisse être demandée (et surtout obtenue) auprès de ce mandataire. En pareil cas, conformément aux dispositions de l’article L. 211-17 du Code du tourisme, la responsabilitéde l’agence de voyages ne peut être engagée qu’en cas de faute prouvée[2].   

Il est même surprenant que la SASU GO VOYAGES ait proposé une indemnisation à ce passager.   

[1] Cour d’appel d’Angers, Chambre civile A, 26 avril 2016, Numéro d’affaire : 15/03287 ; Olivier CACHARD, Conflit de juridictions. – Règlement Bruxelles I. – Compétence internationale. – Compétence territoriale. – Inapplication des règles protectrices du consommateur. – Transport international aérien de passagers. – Indemnisation forfaitaire du retard., Journal dudroit international (Clunet) n° 4, octobre 2017, 17 ; Cour d’appel de Lyon, 6e chambre, 24 mars 2016, Répertoire Général : 15/08859,X c/ Y ; Cour d’appel de Grenoble, 1re chambre civile, 1erdécembre 2015, Répertoire Général : 15/02749 ; Cour d’appel de Grenoble, 1re chambre civile, 1er décembre 2015,Répertoire Général : 15/02750, X c/ Y

[2] Annick BATTEUR, Delphine BAZIN-BEUST et Loïs RASCHEL, L’éruption du volcan Eyjafjöll, un sujet explosif !, La Semaine Juridique Edition Générale n° 25, 21 juin 2010, doctr. 707