Révision des droits des passagers aériens : un recul majeur en vue

Les voyageurs européens vont-ils bientôt perdre une grande partie de leurs droits à indemnisation en cas de retard ou d’annulation de vol ?

DROIT AERIEN

R. KTORZA

10/6/20254 min temps de lecture

alerte consommateur droit aerien ronny Ktorza
alerte consommateur droit aerien ronny Ktorza
Contexte et alerte des associations de consommateurs

L’UFC-Que Choisir a récemment publié un communiqué alarmant intitulé « Révision des droits des passagers aériens : 75 % des passagers seraient exclus du droit à indemnisation ».
Dix associations françaises (dont l’UFC-Que Choisir, la CLCV, Familles Rurales, etc.) dénoncent un projet de révision du règlement européen sur les droits des passagers (notamment en cas de retards, d’annulation ou de refus d’embarquement), qui acterait des reculs importants en faveur des compagnies aériennes.

Selon ce projet, le seuil de déclenchement de l’indemnisation pourrait passer de 3 heures à 5 heures, voire 9 heures dans certains cas selon la distance du vol.
Or, la majorité des retards observés se situe entre 2 et 4 heures : ce glissement du seuil signifierait qu’environ 75 % des passagers actuellement indemnisables seraient exclus du nouveau dispositif.

De plus, le projet imposerait que le consommateur effectue une démarche proactive dans les 6 mois suivant l’incident, alors que le cadre actuel prévoit une indemnisation automatique sans que le passager ait à se manifester expressément.

Les associations appellent les États, les parlementaires européens et la Commission à préserver les acquis du droit européen et de la jurisprudence, voire à les renforcer plutôt qu’à les affaiblir.

Quels sont les droits actuels des passagers aériens ?

Avant d’évaluer les menaces du projet de révision, rappelons le régime actuel des droits aérien pour les voyageurs dans l’Union européenne.

Le règlement (CE) 261/2004

Le règlement européen 261/2004 fixe les droits des passagers pour les vols annulés, retardés ou en cas de surbooking.
Voici les principales dispositions :

  • Annulation : le passager peut choisir entre remboursement du billet ou réacheminement, et il a droit à une indemnisation forfaitaire (250 €, 400 €, ou 600 € selon la distance), sauf si l’annulation est due à une « circonstance extraordinaire ».

  • Retard : à l’arrivée, un retard de 3 heures ou plus ouvre droit à l’indemnisation (mêmes montants selon la distance). En cas de retard de 5 heures ou plus, le passager peut renoncer au vol et obtenir remboursement.

  • Refus d’embarquement / surbooking : si la compagnie ne trouve pas de volontaires pour céder leur place, le passager a droit à une indemnisation identique à celle en cas de retard/annulation, plus prise en charge (repas, hébergement, etc.).

  • Bagages perdus ou retardés : la convention de Montréal prévoit des plafonds d’indemnisation (ex. 1 220 € pour les compagnies de l’UE).

  • Délai de recours : En France, la Cour de cassation a reconnu un délai de 5 ans pour agir en justice contre la compagnie.

La jurisprudence de la Cour de justice de l’UE est également cruciale pour encadrer les notions de « circonstances extraordinaires » et pour interpréter les droits des passagers selon les situations concrètes.

Impact redouté du projet de révision
Exclusion massive des passagers

Le principal danger du projet est l’allongement du seuil de déclenchement de l’indemnité à 5 ou 9 heures, ce qui exclurait de facto une large part des voyageurs confrontés à des retards « modérés ». Cela conduit à la statistique choc : 75 % des passagers seraient exclus du droit à indemnisation.

Obligations de démarche pour le consommateur

Le texte envisagé impose une demande active du passager dans les 6 mois suivant l’incident, là où aujourd’hui le droit prévoit une indemnisation sans initiative du voyageur.

Élargissement abusif des « circonstances extraordinaires »

Le projet prévoit d’étendre les motifs que les compagnies peuvent invoquer pour s’exonérer de l’obligation d’indemniser, ce qui pourrait fragiliser l’efficacité du recours des consommateurs.

Pourquoi ce recul est injustifiable
Une « prime à la piètre qualité »

Les associations dénoncent qu’un tel texte favorise une baisse de la qualité de service : les compagnies aériennes seraient incitées à tolérer des retards modérés sans conséquence financière, puisque la plupart de ceux-ci ne seraient plus indemnisables.

Une incohérence avec l’augmentation des coûts et de l’inflation

Les montants actuels n’ont pas été révisés depuis de nombreuses années, alors que les coûts et l’inflation ont largement augmenté. Certains spécialistes estiment préférable une revalorisation des indemnités plutôt qu’un abaissement de leur applicabilité.

Un affaiblissement du droit européen au bénéfice des lobbies

Le projet est perçu comme la conséquence de pressions exercées par les compagnies et les lobbies du secteur aérien (notamment Airlines for Europe), au détriment des intérêts des consommateurs.

Que peut faire un passager ou un avocat face à cette menace ?
Veille législative et sensibilisation
  • Suivre le processus d’adoption du nouveau règlement : Commission, Parlement européen, Conseil.

  • Interpeller les élus européens (députés, ministres des Transports) pour défendre les droits des passagers.

  • Soutenir les associations de consommateurs (UFC-Que Choisir, CLCV, etc.) dans leur mobilisation publique.

Préparer les recours actuels
  • Informer les clients sur leurs droits actuels (retard ≥ 3 h, annulation, surbooking) selon le règlement 261/2004.

  • En cas de refus d’indemnisation, saisir les instances nationales compétentes (en France : DGAC, médiateur) ou européenne selon les situations.

  • Constituer des dossiers solides avec preuve du retard, billets, correspondances, justificatifs de coûts annexes, etc.

Position d’un avocat (Me Ktorza)
  • Accompagner les passagers dans les démarches de réclamation ou contentieuses.

  • Proposer des actions collectives ou de groupe si le nouveau texte est adopté et viole les droits fondamentaux des consommateurs.

  • Anticiper les arguments juridiques pour contester la légalité du nouveau règlement : notamment sa compatibilité avec les principes du droit européen et les droits fondamentaux des voyageurs.

sources : BFM, UFC-Que Choisir